Interview de Bernard Charlès, directeur général de Dassault Systèmes

Publié le par wissal ben cheikh ahmed + dimassi nadia + Gobert S

Dans son interview, Bernad Charlès, directeur général de Dassault Systèmes donne son point de vue sur l'innovation et son rôle stratégique  pour la croissance et le développement des entreprises.                                                                                           

 A l’heure où l’innovation et la technologie sont vues comme la planche de salut des pays industrialisés face à la mondialisation, quels en sont les véritables enjeux pour l’entreprise ?
Bernard Charlès :
L’enjeu de l’innovation est la capacité à mettre en œuvre des idées nouvelles pour créer des produits et services  différenciants que le client désirera acheter, et à les réaliser de manière plus intelligente et performante. D’autre part, comme les acteurs mondiaux voulant se partager le gâteau sont sans cesse plus nombreux, elle permet de faire croître la taille de celui-ci.
L'enjeu est aussis d’acquérir une vraie dynamique managériale et économique, et surtout un état d’esprit. J’associe souvent l’innovation à la faculté des entreprises d’apprendre. Force est de constater que dans bon nombre de pays développés la volonté d’apprendre est moins présente que dans les pays en cours de développement.

Jusqu’où l’innovation est-elle stratégique pour un industriel ?
B.C. : C'est une manière de créer, dans un contexte économique donné, des produits et services qui permettront à l’entreprise de réussir. C’est aussi essentiel que le savoir et le savoir-faire. Cela se traduit par un chiffre d’affaires, de la profitabilité, une dynamique de compétitivité. C’est un élément moteur, sans compter la dynamique humaine. Avez-vous déjà vu des équipes insensibles à l’innovation ?

Est-elle aujourd’hui assez prise en compte par les entreprises ?
B.C. : L’effort d’innovation est toujours un pari sur l’avenir. Les véritables raisons qui font d’une entreprise un leader sont la dynamique d’innovation et pas seulement l’optimisation : observation des besoins du client, réflexion sur ce qui devra être fait pour mieux le satisfaire et lui donner l’envie d’acheter. C’est un trait commun aux leaders mondiaux. Quelquefois l’innovation est cachée, mais il est clair que dans le système managérial elle est omniprésente. Dans la hiérarchie de ces entreprises, je trouve qu’il y a une sensibilité et un savoir-faire particulier. Les hommes ne sont pas sélectionnés par hasard. Et l’on sous-estime trop souvent la durée  pour construire une structure humaine innovante. Cela se bâtit sur une longue période.

Il n’y a pas que des leaders mondiaux…
B.C. : Combien d’entreprises sont-elles capables – financièrement, technologiquement, humainement – d’avoir cette dynamique. C’est là que le bât blesse pour un certain nombre de nos pays industrialisés. Cette passion à mettre en œuvre et à utiliser l’innovation pour construire demain a disparu. La question est traitée quand il est  trop tard. Il y pourtant des réussites, par exemple dans les secteurs automobile et aéronautique en grande transformation. Bon nombre de sous-traitants, notamment en Allemagne, ont réussi à se positionner et avoir des activités mieux réparties dans le monde grâce à l’innovation.

Et pour les PME ?
B.C. : Les grands groupes ne sont pas forcément les plus innovants. Certes, ils savent communiquer. Il y a des niveaux intermédiaires qui sont très innovants. Une récente étude sur le tissu industriel des sous-traitants de l’automobile montre que  les plus innovants sont ceux dont les donneurs d’ordres incitent à l’innovation. Dans les projets mondiaux les plus en pointe aujourd’hui, les maîtres d’œuvre ont fait le pari des partenariats pour innover. C’est le cas de Boeing avec son 787 ou encore d’Embraer.

 La gestion de l’innovation est-elle vraiment appréhendée à sa juste dimension par les entreprises ?
B.C. : La dynamique d’innovation dans bon nombre d’entreprises en difficulté a été chroniquement absente pendant des années. Il faut en fait intégrer  la mesure de l’innovation dans toutes les fonctions de l’entreprise. C’est un état d’esprit. Regardez comment en vingt ans a évolué l’environnement de travail, avec l’introduction des technologies informatiques et Internet. Peut-on imaginer une société innovante où les gens ne soient pas connectés sur le Web tous les jours ?
Jadis, on avait le « Compagnonnage », qui permettait d’apprendre auprès des experts. Cela a permis de construire la charpente de la cathédrale de Chartres. Pour moi, l’instrument moderne du « Compagnonnage » est le Web. Avec les technologies de visualisation 3D, on sera capable d’apprendre un concept et de cliquer pour voir immédiatement comment il fonctionne.

 La tentation de délocalisation de la R&D chez certains grands groupes n’est-elle pas un risque majeur ?
B.C.
: Il faut savoir ce que l’on veut pour le futur de son entreprise. Et là, les équipes dirigeantes ont une vraie responsabilité aux yeux de leur conseil d’administration  et de leurs actionnaires. Il y a des choix courageux à faire. Ceux-ci  ne consistent pas simplement à réduire les coûts. C’est aussi faire des paris sur le fait que l’on va créer en France et en Europe des laboratoires performants permettant de contrebalancer la réalité du coût de la main d’œuvre. Il y a des pistes, grâce à la virtualisation et aux moyens de communication, pour que ce coût, au regard de la valeur créée, se situe dans un rapport tel que l’on puisse toujours inventer et créer. J’encourage les actionnaires à mesurer cette réalité.

Peut-on parler de décrochage  de l’effort de R&D français ?
B.C. : Il y a une réalité des chiffres, l’investissement en R&D est en érosion. C’est aussi  une question de modèle économique sous jacent. L’innovation se mesure par rapport aux richesses que l’on peut créer. Dans notre pays, on a toujours eu une grande difficulté à concilier l’excellence scientifique et technologique avec l’exigence financière. Il faut changer cet état d’esprit.
Le constat négatif n’est pas uniquement sur le pourcentage de PIB ou du chiffre d’affaires consacré à la R&D. Il est aussi sur la manière d’aborder une politique d’incitation. L’entreprenariat est bien le catalyseur d’une dynamique d’innovation et de création.

Les dispositifs de soutien sont-ils suffisants pour relancer la machine de la R&D en France ?
B.C. : Quand on fait la liste des outils disponibles, la panoplie est assez complète. Les pôles de compétitivité sont une excellente initiative. A nous, les acteurs, de la mettre en œuvre de manière professionnelle et sérieuse. Et là, on est confronté à ce que j’appelle l’état d’esprit. Pour faire marcher ce genre d’initiative, il me paraît approprié que les équipes impliquées dans les projets affichent de manière claire les objectifs et sachent se remettre en cause. La qualité de mise en œuvre sera le facteur déterminant de réussite.

Autres inquiétudes, la désaffection des étudiants pour les filières  scientifiques et techniques, mais aussi la fuite des cerveaux….
B.C. : Cela touche à tous les aspects fondamentaux de notre société. Que ce soient l’éducation, l’ensemble du système économique, le système de reconnaissance des valeurs. Il faut repenser la manière de former et d’entretenir au fil des carrières la formation aux technologies et aux sciences. Notre mode d’enseignement et de découverte pour nos étudiants est aujourd’hui dépassé, compte tenu de la rapide évolution  des technologies. Pour moi, le monde virtuel du jeu et de la simulation est une piste prometteuse.
On ne reconnait pas assez la notion d’entreprenariat et de création de richesse comme un élément valable de mesure de nos sciences et savoir-faire technologique. La conciliation entre la réflexion financière et la logique des sciences est un élément indispensable. Et elle est réalisable. La réflexion sur une plus grande autonomie des universités et des décisions moins centralisées est une bonne chose. La première préoccupation doit être la prise de conscience de devoir traiter de tels sujets qui ne sont, somme toute, pas si difficiles.

Et pourtant, ils sont absents du débat de l’élection présidentielle….
B.C. : Je ne sais pas ce que nous réservent les six prochains mois. Mais il est vrai qu’aujourd’hui on manque de courage politique pour afficher les vrais problèmes auxquels nous sommes confrontés

Source:Jean-Pierre Jolivet
 
http://www.usinenouvelle.com/article/page_article.cfm?nrub=1220&idoc=86234

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